Une dernière fois avant la rupture…
John Woo pourrait être le cinéaste de cinq films. Cinq films seulement. Cinq films majeurs qui ont bouleversés le panorama de l’industrie cinématographique hongkongaise lorsque ce n’est pas de l’Asie ou bien encore du reste du monde. Entre Le Syndicat du Crime et sa suite (1986 & 1987), The Killer (1989) ainsi que Une balle dans la tête (1990), on pourrait naturellement rajouter A toute épreuve (1992) pour ponctuer cette filmographie sélective, dernier film de John Woo à HK et pour HK, un film carte de visite pour l’occident.
Cinq films pour résumer un cinéaste, le reste de ses œuvres pourrait être occulté, oublié presque mais pas celles-là, comme A toute épreuve donc, également connu sous son titre anglophone Hard Boiled. Film policier et d’action moins classieux que The Killer, moins émouvant et pessimiste qu’Une balle dans la tête mais qui est sans nul doute le plus explosif dans cette liste des Cinq, plus encore que le diptyque du Syndicat du Crime.
Dans un Hong-Kong en proie à la violence, l’expéditif inspecteur de police Tequila (Chow Yun-Fat) mène une enquête sur le trafique d’arme dont un certain Johnny (Anthony Wong Chau-Sang) serait à la tête. Il croisera sur sa route un tueur à gage prénommé Tony (Tony Leung Chiu-Wai) avec lequel une relation étrange se noue, entre rivalité et amitié…
A toute épreuve et la toute première fois, celle du visionnage. L’un ne va pas sans l’autre, la première vision est importante parce qu’elle est toujours un choc notamment avec la surenchère d’explosions et de cadavres (230 d’après les chiffres officiels, existe-t-il vraiment des personnes pour s’amuser à compter, sérieusement ?) qui s’amoncèlent tout au long des 122 minutes. C’était également le cas avec les œuvres sus-mentionnées. A chaque fois le même traumatisme et les mêmes réactions qui accompagnent ces découvertes. Il se noue alors avec le spectateur une relation singulière, celle de l’intime qui trouve un écho à ses désirs les plus profond de violence exaltée. Ici, John Woo dépasse un nouveau cap. Nous ne sommes plus au premier rencard. Nous sommes dans une nouvelle étape de notre relation. La rengaine toujours plus haut, toujours plus loin colle parfaitement à Hard Boiled comme un impact de balle sur la peau. Septième ciel/art te voilà !
Par conséquent, A toute épreuve c’est le grand défouloir de son auteur sous cacheton qui ne se donne aucune limite. John Woo est sur le départ et avant de débarquer à Hollywood, il désire offrir quelque chose de grandiose, d’époustouflant, d’épique même, et il y réussit d’autant plus avec la scène finale. On en sort totalement abasourdi et vidé de ses forces. En gros le sentiment c’est : la torture (SM ?) est enfin terminée, je suis épuisé. Est-ce péjoratif ? Presque. Ennuyeux ? Pas tout à fait. John Woo montre à travers sa réalisation qu’il est le best of the best des scènes d’action handjob himself à n’en plus finir. La mise en scène est tonitruante, c’est vrai. Pourtant, ce côté surenchère est lourd à supporter comme les scènes de sadismes, où de pauvres bougres (femmes, enfants, vieillards) sont alourdis à coup de rafale de balles, gratuitement, comme ça. Il en fait trop, gicle abondamment, exacerbe la violence et néanmoins, on a un malin plaisir à en prendre… du plaisir.
John Woo arrive alors au top de sa mise en scène avec les préliminaires d’A toute épreuve, séquence dans le salon de thé. Quant au dénouement final long et apocalyptique, il est tout aussi génial, véritable éjac’ faciale orgasmique. Plus c’est long plus c’est bon, comme semble le dire le veille adage. John Woo prend son pied et on prend le nôtre en pensant au plan séquence de plusieurs minutes, caméra à l’épaule et à des acteurs qui donnent tout ce qu’ils ont jusqu’à l’épuisement trempé. Justement, les acteurs. Rien que pour cela, A toute épreuve en vaut la chandelle pleine de testostérone, exit les femelles, ça sent les aisselles mâles. Entre le face à face puis la collaboration en mode « nous deux contre tous » d’anthologie que nous offrent Chow Yun-Fat et Tony Leung, c’est du tout bon. Une véritable osmose se dégage de leur interprétation et les voir jouer ensemble transcende réellement le film. Rajoutez à cela Anthony Wong en psychopathe sans foi ni loi, et son homme de main loyal et brute de décoffrage sous les traits de Philip Kwok et le tour est joué. On assiste à une orgie qui en met plein la vue, faite de sang, de balles, de larmes et d’explosions.
Action à gogo, gunfight sans répit, des acteurs qui assurent, A toute épreuve n’est pas le meilleur de ses Cinq films phares de son auteur, justement à cause de ce déferlement de violence armée. Cependant, il y a dans ce film un aspect attractif qui résume à lui tout seul ce qu’est John Woo pour les fans de films hongkongais porno, enfin d’action et ça… ça… c’est pas loin de valoir tous les pornos du monde, enfin presque.
Je terminerai par le souvenir hilarant de cette scène d’explosion en chaîne où Chow Yun-Fat, grimaçant court dans un couloir en portant avec lui un bébé tout en tenant un flingue. Un flingue qu’il lance dans les airs en accélérant sa course sauve-qui-peut, sentant la chaleur des flammes lui chauffer les fesses. Il faut voir sa tête pour voir que ce n’était pas prévu. Et si ce n’était que ça. Eh ben non. Alors qu’il arrive au bout de sa course, il manque de se faire souffler par une explosion qui vient de devant lui. Il se stoppe net sur la pointe des pieds, sauvé par un réflexe venu d’ailleurs. Incroyable. A ça de se faire carboniser. A chaque visionnage, un sourire se fige sur mon visage et une phrase trotte dans ma tête : Ils sont fous ces hongkongais de la pyrotechnie, des tarés, des grands malades…